Bois-le-Comte
Nos vieux chemins: (an 1800)
« En tout pays, il y a une lieue de méchant chemin.» Littré.
Il y a déjà longtemps, le Bois-le-Comte, entre Beaufays et la Haie des Chênes, se fondait dans une vaste forêt. Celle-ci s’étendait d’est en ouest, de la rive droite de l’Ourthe jusqu’à Banneux, avec le Bois des Manants, le Bois de Gomzé et Rollémont, les hés de Stinval et Louveigné. Elle rencontrait un autre massif forestier, s’étendant du nord au sud, de la rive sud de la Vesdre jusqu’à bien au-delà de Stoumont.
La voie, Liège-Aywaille-Bastogne-Arlon, rejoignait déjà Beaufays et Sprimont en passant par la Haie des Chênes et le Hornay. Elle parcourait cette forêt au travers du Bois-le-Comte. Cette traversée longue d’environ 2 km, n’était guère rassurante la nuit venue. Marchands et autres voyageurs hésitaient à s’y engager. Pour les habitués de cette route, ce bois était le terrain de chasse des rôdeurs et autres brigands en quête de mauvais coups.
Lambert Anthisnes, dit l’argoté (=enjoué), un soir de novembre 1813, de retour d’une foire aux chevaux, à Liège, après la traversée Beaufays, s’engageant dans la forêt, entend le bruit d’une conversation. Stoppant net sa marche, il distingue deux ombres et comprend :
-On n’entend rien n’est-ce pas ?
-Rien ! Il fallait s’y attendre ! Qui voudrait se risquer dans le bois par une nuit semblable ?
Serrant dans sa main son bâton ferré, il attend que les deux rôdeurs disparaissent pour reprendre sa marche. Déconcerté, il se résout à chercher une auberge. Aucune lumière ne luit à la Haie des Chênes. Au Hornay, il frappe à la porte d’une maison isolée dont une fenêtre est éclairée. C’est une auberge. La tenancière, faussement souriante, l’accueille. Deux individus, l’un barbu et coiffé d’une casquette en peau de chat, l’autre plus jeune, le visage marqué par la petite vérole se tenaient près du poêle, y séchant leurs vêtements humides. Cette présence ne rassure guère Lambert. Il devine que ce sont les deux rôdeurs du Bois-le-Comte. Restauré d’une t’chefnaie (fricassée aux œufs et aux lards) il demande une chambre pour la nuit. Prudent, il s’y barricade en poussant son lit contre la porte et tout habillé, son bâton ferré à la main, se couche. Après sa prière du soir et une pensée à sa mère et à ses deux sœurs qu’il ne reverrait plus peut-être… il se résout à veiller, persuadé d’une agression proche. Soudain, on frappe à la porte de l’auberge et on entend : - Au nom de la loi, ouvrez ! Après un moment, les verrous grincent, la porte s’ouvre et une conversation s’engage avec la tenancière. Puis, des pas bruyants résonnent dans l’escalier. Lambert est tenu d’ouvrir sa porte. Il est face à trois gendarmes, le sabre à la main. Ils l’interrogent sur les motifs de sa présence et du pourquoi de sa barricade. La description des deux individus à peine terminée, le brigadier s’écrie :
-C’est Noé l’Pouyou et l’frezé Zante ! Où sont ces bandits ?
La maréchaussée de Louveigné au courant des méfaits du « Pouyou » avait vainement cherché à Gomzé-Andoumont, Dolembreux, Wachiboux et Lincé. De retour de ce village et au courant des connivences entre l’aubergiste du Hornay et les rôdeurs de tous genres, les « cawes d’arondes » (= gendarmes) poussèrent une reconnaissance jusqu’à l’auberge. Le longs temps qu’elle prit pour ouvrir la porte aux trois pandores, permit aux deux bandits de s’éclipser par une fenêtre de derrière. Le brigadier, furieux d’avoir manqué le gibier et la forte prime liée à sa capture, ordonna qu’on assure la garde à l’auberge jusqu’à l’aube. Décision bien inutile, l’Pouyoux et l’frezé étaient loin déjà, dans le Bois-le-Comte.
L’frezé Zante = Alexandre le grêlé, avait le visage marqué par la petite vérole. C’est le bras droit du « Pouyou ». Laissé pour mort après l’agression d’un marchand de porcs dans le Bois-St-Jean (Laroche), il contracte une maladie de langueur et meurt en 1816.
Noyé l’Pouyou = Noël-le-poilu, de son vrai nom François-Joseph Willem, bandit ardennais des grands chemins, est né à Bihain. En 1799, à 16 ans, amoureux d’une belle « crapôde » (= jeune fille), qui lui préfère un autre galant, il se querelle et …tue son rival ! Au lieu de se livrer à la justice, il gagne les bois et entame une vie de brigandage avec les bandits qui terrorisaient alors le pays. Devenu chef de bande, il écume le Luxembourg Belge et le pays de Liège. Pris, il est condamné en 1817 aux travaux forcés à perpétuité et à la marque au fer rouge. Sur la route du bagne, il réussit à s’échapper. Où ? Dans la forêt d’Ardenne ? On ne le sut jamais… mais longtemps, le fantôme du « Pouyou » hanta l’Ardenne profonde.
Dans le Bois-le-Comte, sévirent d’autres rançonneurs de marchands, de charretiers des forges et des fours à chaux, de pèlerins et autres voyageurs. Mais cela est une autre histoire…
D’après le cercle d’histoire locale, Bibliothèque communale « aux Milles Feuilles » rue du Centre 31 à Sprimont.